Aujourd’hui, un article sur un truc qui m’a fait réaliser deux ou trois choses sur les effets de mon addiction et à quel point ça a été difficile de s’en sortir.
« Il existe un ralentissement psychomoteur, avec un faciès hypomimique. »

Cette phrase, si on comprend qu’elle n’est pas là pour flatter, veut dire que la personne est globalement lente, que ça se voit sur son visage. Le bonhomme qu’on décrit a des réactions du visage lentes.
Le bonhomme, c’était moi. Cette phrase, elle est tirée d’un long mémoire qu’un médecin a soutenu pour se spécialiser en addictologie. Ce médecin a été là tout le long des mois qui ont précédé ma sobriété. Je me rappelle ne pas trop avoir compris ce qu’elle faisait là: elle faisait doublon avec mon addictologue, que je voyais très peu. J’ai compris que ce médecin était « en plus », pour relayer l’addictologue. J’ai même pris ça mal: mon addictologue ne considérait pas mon cas au sérieux, et envoyait quelqu’un à sa place.
En fait non. Ce médecin faisait le même boulot, si ce n’est mieux. En effet, étant depuis relativement tôt le sujet son étude de cas, elle a sûrement passé bien plus de temps sur mon cas. Après quelques mois de sobriété, mon addictologue m’a demandé si je donnais mon accord pour que cette médecin puisse soutenir son mémoire. Et m’a proposé de me l’envoyer par mail, ce que j’ai accepté avec joie.
Ce n’est pas souvent qu’un patient puisse bénéficier d’un œil strictement médical, sans fioritures, sur l’état dans lequel il était. Et j’étais servi. Mon avis est que chaque malade alcoolique devrait se faire remettre un tel document après quelques semaines de sobriété. Personnellement c’est un bagage en plus, dans tout l’arsenal qui compose mes raisons de ne pas replonger. J’ai isolé quelques passages, qui devraient tous parler aux malades alcooliques (sevrés ou pas) qui me lisent:
« Mr B a une présentation négligée (restes alimentaires dans la barbe, verres de lunettes fissurés) et se trouve en état d’alcoolisation manifeste. »

J’ai presque oublié qu’en effet les verres de lunettes étaient cassés. Et aucune conscience d’avoir des restes d’aliments dans ma barbe. J’étais même persuadé que cette barbe non rasée m’allait bien. Non. Quand ma barbe pousse (de façon très inégale), c’est juste affreux. Alcoolisé? Oui, je l’étais 24/24. Mais persuadé que quand je n’étais pas ivre mort, j’arrivais à faire croire que tout allais bien. Mais je pense que je ne suis jamais descendu sous le gramme par litre de sang.
« Il dit ne pas avoir d’amis, et rapporte un isolement social sévère qui s’aggrave. »
« Il rapporte souffrir d’un isolement social important, qui est responsable des consommations d’alcool selon lui. »

Ce « selon lui » veut tout dire. Même moi je ne croyais pas à ce que je disais. Il me fallait un ou des coupables à mes consommations. Ne surtout pas me remettre en cause moi. Évidemment j’étais isolé socialement: je me suis coupé tout seul de mon entourage. Pour les plus proches, je leur ai claqué la porte au nez. Ou je les ai tellement découragé qu’ils ont pris leur distance, pour se protéger eux-même.
« Quelques jours après le début du suivi ambulatoire, Mr B se présente au CSAPA de nouveau en état d’alcoolisation, il rapporte plusieurs chutes et exprime une demande d’aide urgente. »
Ce moment a eu lieu le lendemain de mon premier déclic (oui, il m’en a fallu deux). J’étais très loin d’en être sorti, mais j’avais compris qu’il fallait faire quelque chose. Que j’aurai du mal à vivre un an de plus en continuant comme ça.
« Il a alors réalisé un sevrage en alcool dans le contexte de l’hospitalisation, compliqué d’un délirium tremens pour lequel il a été hospitalisé en réanimation pendant 6 jours. »

Je ne me souviens quasiment de rien de ce moment là. Par contre, le contenu de mon délirium tremens reste gravé à jamais dans ma mémoire. Des moments d’effroi terrifiants. J’étais prisonnier d’une autre réalité où l’horreur était omniprésente. Je ne souhaite cela à quasiment personne. Je dis quasiment parce que ce serait pour moi une bonne alternative à la peine de mort: 30 minutes de delirium tremens par jour pendant x années. Mais ceux qui subiront ça deviendraient fous à lier et irrécupérables au bout d’une semaine. Ces moments sont tels que pour les décrire, les mots ne sont jamais assez forts. Même peur, effroi, terrible, terreur, épouvantable, ne suffisent pas.
« A sa sortie d’hospitalisation fin novembre, Mr B a maintenu l’abstinence pendant 2 jours, puis a repris des consommations quotidiennes d’alcool. »

C’est là que je réalise à quel point l’alcool est une drogue surpuissante. Malgré l’horreur vécue, malgré le risque mortel, malgré mon déclic, je ne pouvais pas lutter. J’ai, encore une fois, cédé au « allez, je peux acheter une bouteille, ce sera juste pour me servir un verre aujourd’hui, je n’en prendrai que dans deux ou trois jours ». Mensonge.
« Le jour de son admission, Mr B a une présentation négligée et semble alcoolisé (l’éthylotest retrouvera effectivement une alcoolémie à 0,80 g/L d’air expiré). »
Oui, nouvelle hospitalisation très rapide. En tout, j’ai fais 15 hospitalisations et passages au urgences dans l’année qui a précédé mon arrêt de l’alcool. Plus une opération pour une fracture ouverte du tibia.
« Le lendemain de sa sortie d’hospitalisation, le patient reprend des consommations d’alcool, avec une CDA identique à celle précédant l’hospitalisation ( soit 22 unités de vodka par jour). »

Et ça recommence. Encore et encore.
« Leur intervention [aux infirmières] y est difficile puisqu’elles retrouvent un appartement insalubre, avec un patient fortement alcoolisé lors de leurs passages. »

Évidemment, je pensais, lors de leur passage, que j’arrivais à donner l’illusion d’être sobre. Oui, mon appart était dégueulasse. Mais je me disais que comme elles ne m’en parlaient pas, tout allait bien pour elles. Mon cerveau de malade alcoolique mettait tout en place pour ce qu’il voulait: continuer à picoler, sans que personne ne se mette en travers. Ma dose était ma priorité.
« [les infirmières] organisent plusieurs passages aux urgences lorsque le patient chute ou se présente très alcoolisé. Devant ces difficultés, elles mettent rapidement fin à leurs interventions. »

Oui. J’ai fait baisser les bras de mes infirmières. Normal. Quand elles arrivaient, elles ne savaient jamais combien de temps elles allaient passer avec moi. À la base c’était pour préparer mes médicaments. Mais ça se transformait souvent en gestes de premiers secours. Impossible à gérer quand on a une tournée de patients à assurer. D’autres infirmières les ont remplacées, et ont, je l’ai appris par la suite, de très précieux atouts pour l’équipe d’addictologie.
« Une infirmière et une assistante sociale du CSAPA organisent une visite au domicile du patient. Celles-ci retrouvent alors Mr B au sol depuis une durée indéterminée, dans un état de conscience altéré, motivant une nouvelle hospitalisation aux urgences. »

Encore un très vague souvenir. Mais je me rappelle avoir émergé de je ne sais où, voyant deux ombres sur le pas de ma porte. J’entendais un appel au SAMU, sans en comprendre tout à fait le contenu. Tout le reste de cet épisode a été effacé de ma mémoire.
« A la suite de cette intervention à domicile, qui lui a probablement sauvé la vie, Mr B prend conscience de la gravité de sa situation. »

Deuxième déclic qui est venu renforcer le premier. Ajouté au fait que ma situation devenait un véritable enjeu de vie ou de mort, les moyens mis en œuvre (sevrage et post-cure) ont eu une priorité très haute.
Lire ce mémoire, écrire cet article, sont pour moi des moyens très précieux pour ne pas oublier d’où je viens. À chaque fois que je suis dans une situation à risque (repas, enterrement, fête, after-work,…), je me remémore cette sombre période, vue par un médecin.
Si en plus, il peut faire lever une oreille d’un seul de mes lecteurs, qui constate qu’il connaît actuellement ce que j’ai traversé, si ça peut faire partie des choses qui l’amènent à la sobriété, je serai heureux. 🌟