
Tu viens d’apprendre que tu pars en post‑cure alcool. Deux questions te squattent le crâne : où tu vas atterrir ? Avec qui tu vas vivre 24 heures sur 24 ?
Le lieu, tu cogiteras dessus plus tard. Le vrai défi se trouve dans le casting. Un sevrage intensif, c’est un huis clos géant : réfectoire, ateliers, salles de groupe, couloirs qui sentent le café brûlé – tu croises les mêmes visages non‑stop. Autant savoir à qui tu as affaire, repérer vite les alliés, neutraliser les boulets et garder de l’énergie pour ton propre combat.
Je te raconte ce que j’ai observé au fil des séjours. Rien d’universel, chaque structure a son folklore, mais tu verras que ces archétypes reviennent comme la gueule de bois le 1ᵉʳ janvier. Tu peux même cumuler deux ou trois rôles en un seul patient ; l’humain adore la complexité. Par contre, retiens ceci : tu n’es pas là pour sauver le monde. Tu es là pour te sauver, toi. Garde cette phrase dans la poche arrière, elle t’empêchera de te disperser.
LES BONNES SURPRISES – TES FUTURS BOOSTERS

Le Pote
Dès que tu franchis la porte, il t’attrape la valise, te montre la machine à café, t’explique les tocs des infirmiers et l’emplacement stratégique des prises électriques.
Il partage son sucre, son câble USB‑C, son adresse Netflix, son rire qui résonne jusque dans l’escalier. Quand la nuit te tombe dessus et que l’envie de boire siffle dans tes oreilles, il reste là, posé sur la chaise en plastique, à t’écouter cracher tes peurs.
Celui-là mérite un retour d’ascenseur. Prends soin de lui comme il prend soin de toi ; la gratitude solidifie la sobriété.
Le Déconneur
Punchline en bandoulière, œil qui frise, gorge qui explose de rires. Il transforme une attente au labo en stand‑up improvisé. Il dérape sur l’humour noir mais ne vise jamais personne.
Avec lui, la cure ressemble parfois à une colonie de vacances pour adultes cabossés. Garde juste un œil sur la profondeur du personnage. Sous les vannes, il peut cacher une angoisse lourde. Si tu captes qu’il souffre, propose un café, pas un sketch.
Le Warrior
Il a décidé d’arrêter. Point final. Pas la phrase jetée à l’arrache – « c’est ma dernière cure » – non, un choix cimenté. Il se lève avant le réveil, participe à chaque groupe, prend des notes, challenge les psys.
Sa motivation fonctionne comme une locomotive : accroche‑toi aux wagons. Regarde comment il gère une envie de boire, pique ses astuces, copie son entraînement cérébral. Attention : la comparaison nourrit la jalousie. Inspire‑toi sans te flageller.
Le Confident Silencieux
Il écoute. Il regarde. Il parle peu, mais quand il ouvre la bouche, il dépose des vérités simples qui percutent. Garde ce type près de toi. Il stocke tes secrets comme un coffre‑fort bancaire. Sa discrétion te rappelle que la sobriété adore le calme.
LES COMMUNS – LE CŒUR DU RÉACTEUR

L'Homme Invisible
Portes qui grincent, silhouettes qui filent. Il passe ses journées dans sa chambre, stores baissés, lumière d’ordi qui clignote. Parfois il surgit, décroche une vanne timide, puis disparaît. Derrière l’armure : solitude, fatigue, peut‑être une dépression planquée. Va frapper une fois, pas plus. Propose un thé. S’il referme la porte, respecte. Chacun avance à son rythme.
Le Switcher
Il a troqué l’alcool contre la bouffe, la nicotine, le jogging, Candy Crush ou la muscu compulsive. Son addiction s’est juste changée de costume. N’essaie pas de réduire ses trois canettes de cola light par heure, tu vas t’épuiser. Le staff soignant gère. Concentre‑toi sur ton propre chantier et inspire‑toi juste de son énergie si elle te booste.
Le Miroir
Vous partagez la même vision de l’addiction, la même façon de vanner la famille, le même goût pour le babyfoot. Danger : l’effet miroir amplifie les défauts. Si tu crées un duo de caractères explosifs, ça peut finir en orage. Respire, pose des limites, garde ton identité.
Le Social
Toujours entouré, portable greffé à la main, il topote sur Messenger dès que l’atelier finit. Il suit la meute, rit avec la meute, critique la meute d’en face. Quand la sortie arrive, il se mange un mur de solitude. Ne sous‑estime pas ce choc. Et rappelle‑toi : les ragots fatiguent le moral plus vite qu’un footing en côte. Protège ton cerveau.
L'Actor Studio
Il joue un rôle : diva blessée, clown triste, rebelle permanent. Parfois il ne s’en rend même pas compte. Si tu sens que la carapace craque, tu peux l’encourager à sortir un bout de vérité. Sinon, file. Les masques épuisent plus que trois nuits blanches.
Le Philosophe de Terrasse
Il fume en contemplant le parking et cite Camus entre deux gorgées de tisane. Il questionne le libre arbitre, le sens de la rechute, la valeur de la souffrance. Par moments, ses tirades illuminent la journée. D’autres fois, elles plombent l’ambiance. Prends ce qui t’inspire, lâche le reste, et n’oublie pas de vivre au lieu de théoriser.
Le Newbie Paniqué
Valise plus grosse que lui, yeux rougis, cent questions à la minute. Il te renvoie à ton arrivée, à ce mélange de trouille et d’espoir. Rassure‑le deux minutes ; tu consolides ta propre route quand tu aides sans te sacrifier.
Le Planificateur Compulsif
Il affiche l’emploi du temps de la semaine, code couleur, stickers, alarmes sur son téléphone. Il connaît l’heure de l’atelier poterie 48 heures à l’avance. Certaines de ses manies peuvent te servir : noter tes rendez‑vous, programmer tes pauses respiration, préparer ta sortie. Le piège ? L’excès. Le contrôle absolu finit par craquer. Pioche le bon, jette le reste.
À ÉVITER – LES FREINS SUR TON CHEMIN

Le Paumé
Pas gâté par la vie, pas gâté par son produit. Son regard flotte, il pige la moitié des consignes. Ton instinct de sauveur grimpe. Danger : tu n’es pas son tuteur légal. T’occuper de lui à plein temps draine ton énergie. Le personnel encadre, toi tu avances.
Le Râleur
Pluie ? Cauchemar. Soleil ? Trop chaud. Menu ? Immangeable. Groupe ? Mal fichu. Il critique tout, tout le temps. Derrière la plainte, il ventile son anxiété. Fixe une frontière mentale. Écoute une minute, puis oriente la conversation, ou sors prendre l’air. Ta vitalité vaut plus que son nuage permanent.
L’Envoyé par Dieu
Il sait tout, explique tout, coupe la parole aux médecins parce qu’il possède la vérité suprême. Il lance les ragots, bruit de fond toxique qui salit les couloirs. Ignore. Rien ne nourrit plus un gourou que l’attention des disciples.
Le Chapardeur
Même en post‑cure, il existe. Chargeurs qui disparaissent, biscuits volatilisés. Range tes affaires sous clé. Point barre. N’alimente pas la parano, protège juste ton nécessaire.
Le Forcé
Tribunal ou conjoint l’a poussé ici. Il traîne les pieds, dégomme tout et tout le monde. Tu veux pas de ça. Son cynisme s’infiltre dans les pores. Reste cordial et éloigné. La sobriété ne se télécharge pas, elle se choisit.
MODE D’EMPLOI – RESTER CENTRÉ SUR TOI

- Repère ta locomotive.
Cherche le Warrior ou un Pote de confiance. Deux cerveaux motivés valent mieux qu’un. - Installe tes frontières.
Décide combien de temps tu accordes à un Râleur, un Envoyé par Dieu ou un Paumé. Chrono mental. Quand la limite sonne, tu décroches. - Crée un kit de survie.
Câble, café, sucre, chaussettes chaudes, carnet, stylo sympa. Un confort minimal évite les crises pour des broutilles. - Teste et choisis.
Tu adores le yoga ? Garde. Tu détestes les citations de Nietzsche ? Zappe. La post‑cure propose un supermarché d’outils. Remplis ton panier, pas celui du voisin. - Prépare la sortie maintenant.
Le Planificateur compulsif n’a pas tort sur tout : visualise ton retour, liste tes rendez‑vous, crée un réseau de soutien avant de passer la grille. - Coupe les ragots.
Un simple « je sais pas » ou « je veux pas entrer là‑dedans » suffit. Le potin brouille la tête, il n’aide ni toi ni eux. - Respire.
Trois grandes inspirations dès que la peur monte. Le Yogi illuminé a raison sur ce point.
CONCLUSION – CE QUI COMPTE VRAIMENT

Tu ne contrôles pas les autres. Tu contrôles tes réactions. Chaque personne croisée en post‑cure devient un miroir, un test ou un tremplin. Observe, sélectionne, absorbe, rejette. Ne laisse personne voler l’énergie qui nourrit ta sobriété. À la fin, les visages changent, les prénoms s’effacent, mais ce que tu auras appris sur toi restera à vie. Et ça, aucun chapardeur ne pourra te le piquer.
Quand tu sortiras, le monde extérieur ne t’attendra pas avec un tapis rouge. Il t’attendra avec les mêmes tentations qu’avant. La vraie différence, c’est toi : tu connaîtras tes limites, tes moteurs, tes signaux d’alarme. Les semaines cloîtré·e entre ces murs t’auront offert la carte et la boussole. Le chemin continue dehors, mais tu as déjà fait le premier pas le plus dur : admettre que tu veux, et que tu peux, vivre sans poison.
Alors attrape ta valise, réserve un lit au soleil pour fêter tes un mois de sobriété, et souviens‑toi : tu n’es pas seul·e. Derrière toi, il y aura toujours un Pote, un Confident silencieux ou un Yogi qui se lève à l’aube pour saluer le soleil. Et surtout, il y aura toi, plus solide qu’hier.