Lettre d'un alcoolique à toi, que j'aime et qui m'aime.
Je suis alcoolique. J’ai besoin de ton aide.
Voilà, c’est dit. Pas un grand moment de poésie, je sais. Mais c’est ma réalité, et je dois te le dire clairement : je ne m’en sortirai pas seul. Ce n’est pas une excuse, c’est un fait. J’ai besoin de toi, mais pas de n’importe quelle façon. Ce que je vais te demander, c’est pas facile. Tu vas peut-être devoir réagir à l’inverse de ce que ton instinct te dicte. Mais si tu m’aimes, et je crois que c’est le cas, je te demande de lire ce qui suit avec attention.
Ne me sermonne pas, ne me blâme pas.
Tu sais quoi ? Je n’ai pas besoin d’entendre ce que je sais déjà. Oui, je me suis foutu dans une situation compliquée. Oui, j’ai fait des choix stupides. Mais crois-moi, je me les reproche déjà mille fois par jour. Si tu me hurles dessus ou que tu me fais la morale, je vais juste m’enfoncer encore plus dans mon trou, parce que je vais me sentir encore plus nul qu’avant. Et crois-moi, je m’en veux déjà assez.
Dis-toi un truc : tu n’irais pas engueuler quelqu’un qui a une maladie comme le diabète ou le cancer, non ? L’alcoolisme, c’est pareil. C’est une maladie. Pas un manque de volonté, pas un caprice. Me blâmer ne fera qu’alimenter ma honte, et crois-moi, j’en ai déjà un énorme paquet sur le dos.
Ne jette pas mes bouteilles.
Je sais que tu penses bien faire en vidant mes réserves, mais laisse-moi te dire un truc : ça ne sert à rien. Si je veux boire, je trouverai un moyen. Toujours. Alors, garde ton énergie pour des choses qui comptent vraiment. Ce n’est pas toi qui dois mener cette bataille contre l’alcool, c’est moi. Et puis, soyons honnêtes : tu vas passer un temps fou à fouiller partout, et moi, je vais juste en racheter d’autres.
Ne te laisse pas envahir par la colère.
Je sais, je te pousse à bout. Parfois, j’ai l’impression de chercher la dispute juste pour me punir, comme si je méritais que tu m’en veuilles. Mais si tu te laisses emporter, tu risques de m’enfoncer encore plus dans ce cercle vicieux. Tes mots, ta colère, c’est comme un miroir pour moi : ça me renvoie tout ce que je déteste chez moi. Et crois-moi, ça fait mal.
Alors, respire. Prends un moment. Je sais que c’est dur, mais si tu restes calme, tu m’aides beaucoup plus que si tu exploses.

Ne fais pas à ma place ce que je dois faire.
Je sais que tu veux m’aider. Que ton amour te pousse à prendre mes responsabilités pour me protéger. Mais en réalité, tu m’empêches de grandir. Chaque fois que tu fais à ma place, tu me prives de l’occasion de me confronter à mes erreurs et de devenir un adulte. Oui, ça veut dire que je dois ramasser mes propres morceaux. Et oui, ça va être moche. Mais c’est nécessaire.
Et toi, dans tout ça, tu risques de m’en vouloir. Parce que plus tu fais pour moi, plus tu portes un poids qui n’est pas le tien. Et à la fin, c’est toi qui finiras épuisé(e) et plein(e) de rancune.
Ne prends pas mes promesses au sérieux.
Tu m’as déjà entendu promettre des tas de choses, pas vrai ? « Je vais arrêter. C’est la dernière fois. Demain, tout change. » Et à ce moment-là, je suis sincère. Je veux vraiment y croire, tout comme toi. Mais la maladie, elle est là. Et elle m’empêche de tenir ces belles paroles. Alors, pour te protéger (et pour me protéger aussi), ne crois pas tout ce que je dis. J’ai besoin d’actions, pas de mots.
Ne fais pas de menaces dans le vide.
Si tu me dis que tu vas faire quelque chose – me quitter, arrêter de m’aider, ou poser des limites – fais-le. Parce que si je vois que tu ne passes pas à l’action, je vais en profiter. Pas parce que je ne t’aime pas, mais parce que je suis en mode survie. Et quand je vois que tes menaces ne sont pas suivies d’effets, je perds du respect pour toi. Alors, sois ferme. Pas cruel(le), juste ferme.

Ne crois pas tout ce que je raconte.
Parfois, je te mens. Pas par plaisir, mais parce que c’est un des symptômes de cette maladie. Mentir me permet de fuir la réalité, d’éviter la honte, de me cacher derrière un écran de fumée. Alors, ne prends pas tout ce que je dis pour argent comptant. Vérifie, pose des questions, garde les yeux ouverts. C’est la meilleure façon de m’aider.
Ne te laisse pas exploiter.
Je pourrais abuser de ton amour sans même m’en rendre compte. Te demander de l’argent, du temps, des efforts… Et toi, parce que tu m’aimes, tu donneras. Mais si tu fais ça, tu risques de t’épuiser. Et pire, de m’en vouloir. Et dans un climat d’injustice, l’amour finit toujours par s’éteindre. Alors, protège-toi. Pose des limites.
Ne me protège pas des conséquences de mes actes.
Tu veux m’éviter des ennuis, je comprends. Mais si tu mens pour moi, paies mes dettes ou répares mes conneries, tu me rends un mauvais service. Parce que tant que tu me protèges des conséquences, je peux continuer à me dire que tout va bien. Mais si je touche le fond, si je vois vraiment les dégâts que je cause, alors peut-être que je trouverai enfin la force de changer.
Renseigne-toi.
L’alcoolisme, c’est une maladie complexe. Et plus tu en sauras, plus tu pourras m’aider. Tu comprendras mieux mes comportements, mes échecs, mes rechutes. Et tu sauras aussi ce que toi, tu peux faire pour rester en équilibre dans cette tempête.
Je t’aime.
Même si je ne le montre pas toujours. Même si parfois, je te déçois. Tu comptes pour moi, plus que tu ne le penses.
Ton alcoolique