Et si je voyais mon ancien moi dans mon canapé?

J’ai ouvert la porte, et il était là.

Assis sur le canapé. Mon canapé.

Une bouteille de vodka coincée entre ses jambes, la télé allumée sur une chaîne qui ne passe que des rediffusions absurdes. La lumière blafarde découpait son visage. Mon visage.

Yeux injectés de sang. Cernes violacées. Peau grisâtre, fatiguée.

Il a tourné la tête vers moi et a souri.

— T’étais où, mec ?

Ma gorge s’est serrée.

— T’es pas censé être là.

Il a haussé les épaules, a tapoté la place à côté de lui.

— J’ai jamais vraiment bougé.

Je suis resté debout. L’air était lourd, chargé d’un mélange d’alcool, de sueur et de solitude. Une odeur que je connaissais trop bien.

Il a levé sa bouteille en guise de salut.

— À la santé du miraculé.

Je n’ai pas répondu.

Il a pris une gorgée, a essuyé sa bouche du revers de la main et m’a détaillé de bas en haut.

— T’as maigri.

— Et toi, t’as pourri.

Son sourire s’est élargi.

— Ça t’a manqué, hein ?

— Pas une seule seconde.

Il a éclaté de rire. Un rire rauque, éraillé.

— Mon cul.

Il a reposé sa bouteille sur la table basse, une vieille table Ikea abîmée, avec les mêmes taches que j’y avais laissées.

— Alors, c’est comment, la vie sans moi ?

J’ai inspiré lentement. J’avais l’impression d’être entré dans un tombeau.

— Plus propre.

Il a secoué la tête.

— Plus chiante, surtout.

J’ai avancé de quelques pas. Il a planté son regard dans le mien, provocateur.

— Plus de nuits à oublier, plus de matins à regretter, plus de bouteilles à cacher… Tu trouves ça excitant ?

J’ai soutenu son regard.

— Je suis vivant.

Il a haussé un sourcil.

— Moi aussi.

J’ai hoché la tête lentement.

— Non.

Il s’est figé.

J’ai pointé la bouteille du menton.

— Ça, c’est pas vivre. C’est disparaître lentement.

Il a ricané, mais son rire sonnait faux.

— Ah ouais ? Et toi, t’es quoi maintenant ? Un type qui boit du thé devant Netflix en pensant qu’il a tout compris ?

J’ai croisé les bras.

— Je suis un type qui ne crève plus à petit feu.

Un silence pesant.

Il a baissé les yeux, fixé l’écran de la télé où défilaient des images qu’il ne regardait même pas.

— T’as peut-être raison…

Sa main a serré la bouteille.

— Mais moi, au moins, j’aurai pas à affronter ce que t’affronteras.

Un frisson m’a traversé l’échine.

— C’est-à-dire ?

Il a levé la bouteille, l’a fait tourner entre ses doigts.

— La peur de replonger.

J’ai serré les dents.

— Tu crois que je t’ai oublié ?

Il a souri, un sourire triste.

— Je crois que tu fais tout pour.

J’ai serré les poings.

— Et ça marche.

Il a hoché la tête lentement.

— Pour l’instant.

Il s’est enfoncé dans le canapé, son corps s’affaissant comme une ombre qui s’efface.

— Mais moi, je reste là. Je suis chez moi, mec.

J’ai avancé et j’ai attrapé la bouteille. Il ne l’a pas retenue. J’ai senti le verre froid sous mes doigts.

Un vieux réflexe.

Puis je l’ai posée sur la table.

Loin de lui. Loin de moi.

— Non.

Il a levé les yeux vers moi. Il avait l’air plus flou, plus lointain. Comme un souvenir qu’on refuse de nourrir.

— T’as plus de place ici.

Je me suis redressé.

Il n’a rien dit.

Je me suis dirigé vers la porte.

Juste avant de sortir, je me suis retourné une dernière fois.

Le canapé était vide.

La télé continuait à diffuser son programme absurde.

Et la bouteille était toujours là.

Je l’ai laissée derrière moi.

Je suis sorti. Je respire. Je vis.

Moi alcoolisé, et moi sobre
Share the Post:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles liés

Inscris toi à la newsletter!

Retour en haut
Plugin WordPress Cookie par Real Cookie Banner